L’éducation ? La voie à suivre   

juin 22, 2021

Finaliste du Prix Martin Ennals 2017, Karla Avelar (au centre), dans une école genevoise

À Genève, les droits humains ne sont pas seulement à l’agenda des experts de l’ONU. Ils sont aussi promus par les autorités locales et débattus sur les bancs d’écoles. Isabel de Sola, directrice de la Fondation Martin Ennals, nous parle du projet éducatif de la Fondation – un programme visant à familiariser les élèves avec le concept des droits humains et les causes promues par les défenseur-euse-s soutenus par la Fondation.

Sujet à risque

Lorsque j’étais à l’école en Amérique centrale, il était jugé trop délicat, voire dangereux, de parler aux jeunes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, alors les droits des migrants ou droits LGBTQI+, n’en parlons pas. Nombreux sont les systèmes éducatifs dans le monde qui, à l’instar des romans dystopiques, ne transmettent pas aux jeunes le sens de notre droit universel et inaliénable à la dignité, au respect et à la liberté.  

Pourtant, ces jeunes sont les électeur-rice-s de demain, ou ceux et celles qui manifesteront pacifiquement pour défendre nos droits et ceux des populations qui en sont privés. Le mouvement des droits humains a donc tout intérêt à être aux côtés de la nouvelle génération qui pourra se faire entendre auprès des systèmes politiques.  

L’État de Genève l’a bien compris en mettant au premier plan l’éducation aux droits humains pour les jeunes. Les élèves sont sensibilisés à ce sujet jusqu’à trois reprises durant leur cursus, que ce soit à l’occasion d’un cours de langue, d’histoire ou de sciences sociales, dans le cadre de leur programme d’économie et de commerce, ou encore à l’école technique.   

Pas de progrès sans éducation aux droits humains

« Avant de devenir une femme, quel était votre nom lorsque vous étiez un garçon ? », « Comment vous êtes-vous remis de votre expérience en prison ? », « Pourquoi la conduite automobile est-elle interdite aux femmes dans votre pays ? ». Ce sont là quelques-unes des questions brûlantes posées par des élèves du secondaire de Genève aux défenseur-euse-s des droits humains lors des ateliers menés par la Fondation Martin Ennals, en collaboration avec Amnesty International Suisse et True Heroes Films.   

Le programme – intitulé « Défendre les droits humains, ici et ailleurs«  – sensibilise les élèves à la défense des droits humains et aux outils pour faire campagne dans ce domaine. Il combine pour cela plusieurs techniques et jeux afin de partager au mieux les parcours des défenseur-euse-s des droits humains et leurs causes. Au final, les élèves élaborent leurs propres campagnes pour se familiariser avec différentes techniques de communication pour la défense des droits humains.   

Construire des ponts

Les lauréat-e-s du Prix Martin Ennals sont invités dans les écoles à la fin de ce programme pour un échange très personnel avec les élèves. Ces moments de partage sont inestimables, tant pour les élèves, que pour les enseignant-e-s ainsi que pour les défenseur-euse-s du Prix Martin Ennals. Ces dernier-ère-s se retrouvent face à une multitude de questions percutantes et en viennent à partager avec ces jeunes leurs motivations, leurs espoirs et leurs craintes.  

Mieux que tout autre technique de cours, ces rencontres encouragent la nouvelle génération à soutenir la cause universelle des droits humains.  Et c’est en observant ces moments uniques que j’ai compris à quel point Genève est un lieu spécial, où les habitant-e-s sont prêt-e-s à se liens à des individus venus de pays lointains, où la vie est parfois radicalement différente.  

J’aimerais toutefois éviter un piège:  celui d’avoir à convaincre tous-toutes les étudiant-e-s de la nécessité des droits humains. Ils ne doivent pas en ressortir avec le sentiment que nous avons tenté de leur laver le cerveau. Certaines des questions abordées dans notre programme ne font par exemple pas nécessairement l’objet d’un consensus universel : le droit d’asile, les droits des minorités sexuelles ou encore les droits environnementaux sont remis en question par certain-e-s. Pourtant, de nombreux-ses élèves n’osent pas exprimer leurs doute de crainte d’aller à l’encontre de ce qu’ils pensent être l’opinion des enseignants ou des défenseur-euse-s rencontrés. Mon objectif est qu’au cours des prochaines éditions de ce programme, nous créions un climat de confiance tel que les élèves se sentent autorisés à débattre ouvertement de leurs idées et des nouveaux enjeux pour le mouvement des droits humains. L’école devrait être un lieu, je l’espère, où nous restons ouverts et à l’écoute d’idées différentes des nôtres.       

Unis dans notre humanité commune

Lors d’un des derniers ateliers donnés, l’un des élèves a demandé au défenseur présent comment il envisageait de poursuivre son travail en exil? Le défenseur a répondu qu’à ses yeux, l’humanité ne forme qu’un seul tout et que les frontières entre les pays, les cultures ou encore les générations sont toutes relatives et ne doivent pas faire barrage au vivre ensemble. « Je suis ici aujourd’hui avec vous« , leur a-t-il dit, « parce que si vous entendez parler de ce qui se passe dans mon pays, peut-être vous joindrez-vous à moi pour oeuvrer au changement demain. »    

Faisons donc en sorte pour que ceci devienne réalité, et que les élèves qui deviendront les électeur-rice-s et les manifestant-e-s de demain, reprennent le flambeau pour que Genève demeure la capitale des droits humains – mais aussi pour continuer à soutenir des causes dans le monde entier.   

Isabel de Sola, Directrice, Fondation Martin Ennals