Kasha: La voix des LGBTQI en Ouganda

août 9, 2021

Le 3 mai 2021 dernier, le Parlement ougandais a adopté le très controversé “Sexual Offenses Bill” (SOB), un projet de loi qui a provoqué l’ire de la communauté internationale et des militant.e.s LGBTQI pour sa criminalisation des relations homosexuelles. La lauréate du prix Martin Ennals 2011, Kasha Jacqueline Nabagesera, fondatrice de Freedom and Roam Uganda se bat sans relâche depuis des décennies pour les droits des communautés marginalisées dans son pays. Pour la Fondation Martin Ennals, elle revient sur son parcours et nous explique pourquoi le projet de loi « SOB » doit impérativement être révisé.

 

Kasha, vous êtes connue comme l’un.e des militant.e.s des droits LGBTQI+ les plus engagé.e.s en Ouganda et dans la région. Qu’est-ce qui a déclenché votre militantisme ?

Le ras-le-bol. J’en ai tout simplement eu assez du harcèlement, des jugements et des menaces dont je faisais constamment l’objet dans ma vie quotidienne. Assez aussi que mon université exige de moi de me tenir à plus de 100 m des résidences pour femmes et d’être tenue de fournir des rapports quotidiens prouvant que je ne m’habillais « pas comme les hommes ». Assez, enfin, d’être souvent renvoyée de l’université et de voir les nouveaux étudiants menacés de représailles s’ils me fréquentaient.

Ces violations de mes droits m’ont donné envie de me battre et de comprendre pourquoi ma sexualité et mon genre étaient un problème, partout où j’allais. J’ai donc mené l’enquête, en dépensant tout mon argent de poche dans des cafés internet où j’ai écumé le web. Ça a été un choc de découvrir que l’homosexualité était illégale pas seulement en Ouganda, mais dans d’autres régions d’Afrique et du monde également. Je me devais de faire quelque chose.

C’est ainsi que je suis officiellement devenue une militante et que j’ai créé mon organisation. Les médias ont beaucoup contribué à ce coup d’envoi grâce à leurs articles. De nombreuses personnes qui s’identifiaient à la cause LGBTQI m’ont alors rejoint. Ensemble, nous allions peindre la ville en rose !

 

Lorsque vous avez remporté le prix Martin Ennals en 2011, vous avez déclaré : « Je ne pense pas que l’on ne puisse jamais renoncer aux droits de l’homme, de quelque manière que ce soit ». Votre opinion a-t-elle changé depuis lors ?

Mon opinion n’a pas changé et ne changera jamais. Tant qu’il y aura des êtres humains, il y aura des violations et des abus des droits humains. Et plus le monde se développe, plus il y aura d’injustices. Il est de notre devoir de continuer à lutter contre celles-ci et de ne jamais cesser de défendre les droits humains pour tou.t.e.x.s.

 

Le projet de loi sur les délits sexuels (SOB) de 2019 en Ouganda a déclenché votre ire et celle de la communauté internationale. Pourquoi ?

Permettez-moi de commencer par dire que le SOB est né de bonnes intentions, pour protéger les survivant.e.x.s d’abus, de harcèlement et d’exploitation sexuelle. Malheureusement, ce projet de loi tant attendu a été détourné à des fins misogynes, homophobes et sexistes. Certaines clauses de la loi anti-homosexualité ougandaise (AHA) de 2014 – qui a heureusement échoué – ont par exemple été réinjectées dans le SOB. Ceci a dénaturé la nature initiale du projet de loi et porté atteinte à son intégrité. En outre, cela a mis à bas tout le travail accompli par les militant.e.x.s LGBTQI au cours des dernières années.

 

Que peut-on faire pour changer les choses, maintenant que le Parlement a adopté le projet de loi ?

Une fois adopté par le Parlement, il ne manque plus que l’approbation du Président pour que le SOB fasse office de loi. Il faut donc sensibiliser le grand public et faire pression sur le Président pour que ce projet de loi soit renvoyé au Parlement pour nouvel examen. Le Président a en effet le pouvoir d’exiger qu’une équipe indépendante examine le projet de loi et ses conséquences, notamment celles de la clause 11 qui interdisent les relations entre personnes de même sexe. Il faudra également être attentif à la terminologie vague qui est employée dans le SOB concernant la définition des violations et qui laisse place à trop d’interprétations pouvant conduire à de nouvelles violations des droits des citoyens, en sur-criminalisant par exemple des pratiques sexuelles. Mais je crois que ce projet de loi a de l’avenir si tant est qu’il soit révisé, alors ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

 

Dans ce contexte, quel est votre message à la communauté LGBTQI+ de l’Ouganda ?

Ma sympathie va bien sûr à tou.t.e.x.s les militant.e.x.s LGBTQI+ qui sont impacté.e.x.s et déçu.e.x.s en raison du SOB. Il est décevant que nous devions, une fois de plus, nous battre autant pour nos droits. Mais souvenons-nous d’où nous sommes parti.e.x.s et du chemin que nous avons parcouru jusqu’à présent. Nous nous battrons pour que ce projet de loi soit révisé, tout comme nous nous sommes battus contre l’AHA en 2014. Ne désespérons pas, restons concentré.e.x.s et uni.e.x.s dans notre combat.

 

Et quel est votre message à la communauté internationale désireuse d’apporter son soutien ?

Permettez-moi d’exprimer ma gratitude envers les nombreux partenaires et amis qui sont à nos côtés, dans le monde entier. Nous n’aurions pas pu aller aussi loin sans eux. Cependant, le passé a également montré que, parfois, plus de mal que de bien est fait au nom du « soutien ». Je voudrais donc rappeler à la communauté internationale l’importance de toujours consulter les acteurs locaux en premier lieu. Consultez-nous sur la meilleure stratégie à adopter ou sur les meilleurs messages à formuler. Parfois, c’est la diplomatie discrète qui est la voie à suivre, tandis d’autres fois, c’est une campagne plus visible qui s’impose… Chaque situation requiert une solution différente, et les acteurs locaux savent mieux que quiconque ce qui est le mieux pour eux. Ce principe s’applique à toute personne désireuse de soutenir une cause dans notre monde.