Moudeina a été gravement blessée et sauvée de justesse dans un hôpital local. Elle a passé les quinze mois suivants à faire des aller-retour entre le Tchad et la France pour sa rééducation. Fait remarquable, le 11 avril 2002, alors qu’elle était toujours en convalescence, Moudeina a été en mesure de se rendre en personne à Genève pour recevoir le Prix Martin Ennals lors d’une cérémonie organisée dans le cadre du Festival Médias Nord-Sud. La date de la cérémonie coïncidait avec l’entrée en vigueur du Statut de la Cour pénale internationale et, dans plusieurs interviews télévisées, Jacqueline Moudeina a parlé de la situation d’impunité qui prévalait au Tchad. De retour dans son pays, accompagnée par deux ONG internationales, Jacqueline a été chaleureusement accueillie par des supporters tandis que les autorités ont fait preuve de plus de respect à son égard.
Jacqueline Moudeina, militante des droits de l’homme tchadienne, a créé l’ONG Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDH), qu’elle préside actuellement. Elle décrit le Tchad comme un pays pris entre « les souffrances et les luttes politiques ».
Après le coup d’état de Hissène Habré en 1982, Moudeina habitait avec son ex-mari qui était alors dirigeant d’un groupe d’opposition au sud du Tchad. L’intolérance absolue du nouveau régime à l’égard de tous les dissidents les a contraints à s’exiler au Congo au moment même où Hissène Habré organisait des campagnes de « nettoyage ethnique ».
« Après les élections présidentielles de mai 2001”, raconte Jacqueline Moudeina, “nous avons écrit une motion de protestation pour dénoncer l’implication de la France dans le maintien des « régimes autocratiques au Tchad ». Nous avions l’intention de l’envoyer à l’ambassadeur à Djamena lors d’une manifestation pacifique organisée devant l’ambassade de France ». Mais l’ironie du sort a voulu que « des unités de l’armée nous aient encerclés et qu’ une grenade ait explosé entre mes jambes. »
Moudeina a étudié le droit alors qu’elle était en exil et a fini par obtenir un master en droit privé. Encore marquée par les horreurs dont elle a été témoin lors de la montée de Habré au pouvoir et préoccupée par la gravité des violations des droits de l’homme au Tchad, Moudeina a décidé de se faire « la voix des sans voix ».
Moudeina revient sur cette catastrophe humanitaire: » Le ”septembre noir” de l’année 1984 a marqué l’apogée de la répression sous Hissène Habré … Des villages ont été pillés… des personnes qui cherchaient refuge à l’intérieur des églises ont été brûlées alors que les bâtiments s’écroulaient sous les feux du gouvernement. »
La situation était alors si catastrophique que Moudeina s’est dit « qu’il fallait faire quelque chose ».
Avant d’obtenir son diplôme en droit, Moudeina avait commencé à s’engager dans la défense des droits de l’homme au sein de la Ligue internationale des droits de l’homme au Congo, la FIDH et l’Association tchadienne pour la défense des droits de l’homme au Congo.
Elle est finalement revenue au Tchad en 1995 pour commencer sa carrière d’avocate. Hissène Habré avait été renversé en 1990 et Moudeina a été choisie par le conseil exécutif d’un comité regroupant plusieurs ONG pour engager des poursuites judiciaires contre lui pour crime contre l’humanité.
Habré a finalement demandé l’exil au Sénégal mais bon nombre de ses acolytes sont restés et ont gardé leur position au gouvernement. Aussi, Moudeina affirme: ”Le président actuel du Tchad était un tortionnaire sous Hissène Habré ». Inébranlable, elle a porté plainte contre lui au nom des victimes dans le cadre de la juridiction sénégalaise, plainte qui a été rejetée par un tribunal de Dakar.
Loin de se laisser décourager, Moudeina n’a pas abandonné son combat pour autant. Elle s’est alors tournée vers la Belgique et a réussi à trouver à Bruxelles des citoyens belges d’origine tchadienne qui avaient été torturés sous le régime de Habré et par obtenir le soutien de militants des droits de l’homme internationaux tels que Reed Brody.
Ses efforts ont finalement été récompensés: Fransen, juge belge, s’est rendu au Tchad pour mener une instruction visant à établir les faits survenus dans le pays. Il a pu, dans le cadre de cette mission, se rendre entre autres dans les fosses communes à Ndjamena.
Si Habré reste toujours impuni pour les crimes qu’il a commis, Moudeina continue de mener son combat contre l’impunité et les violations des droits de l’homme.
En 2010, elle a été invitée à enseigner à la Faculté de droit Dickinson de l’Université de Penn State. Dans le cadre de son programme Scholars at risks, l’université lui a décerné un prix pour son engagement dans la défense des droits de l’homme.
Elle envisage de retourner au Tchad où elle a l’intention de se consacrer à un projet visant à garantir un environnement sûr pour les femmes et les enfants pauvres du Tchad. Preuve que sa lutte n’est pas tombée dans l’oubli, elle a reçu le 14 juillet 2010 la légion d’honneur française de l’ambassadeur français à Ndjamena pour ses efforts en matière de promotion et de protection des droits de l’homme.