Yu Wensheng, l’universel – un éditorial de François Zimeray

juillet 8, 2021

En ce sixième anniversaire du « 709 crackdown« , l’avocat et ancien Ambassadeur de France François Zimeray partage un vibrant hommage en soutien au lauréat du Prix Martin Ennals 2021 et avocat des droits humains Yu Wensheng, détenu arbitrairement en Chine depuis 2018. Il nous rappelle qu’une attaque contre les droits humains n’importe où est une attaque contre les droits humains partout. Et qu’aujourd’hui, se dresser fermement contre les violations des droits humains est plus important que jamais. 

« L’indignité » de l’Occident, un argument décisif contre toute intervention morale

Par François Zimeray, Ancien Ambassadeur de France, avocat, 9 juillet 2021 – De tous les diplomates avec lesquels, comme ambassadeur, j’ai eu à m’entretenir de la question des droits de l’Homme, les représentants chinois sont, de loin, les plus sensibles à la question, alors même que le tableau du pays est disharmonique. Des violations gravissimes y coexistent avec de trop timides progrès que ces violations rendent dérisoires, comme avec le désir de s’affirmer comme une puissance mondiale reconnue et respectée. L’hypersusceptibilité chinoise est bien connue, c’est l’importance de la face qui rend toute dénonciation publique délicate, voire inopérante ou carrément contre-productive. Il m’est souvent arrivé, engageant le dialogue avec des diplomates chinois d’avoir à commencer en affirmant que la France n’est pas « le » pays des droits de l’Homme, que nos condamnations répétées par les juridictions internationales (notamment la CEDH) sont justifiées et nous aident à progresser. Je le crois profondément, d’ailleurs. Bref, il me fallait à tout prix éviter le télescopage des civilisations et m’appuyer sur le socle universel des Conventions internationales. Or, force est de reconnaître que notre discours ne prend pas, que la répression Ouïgoure marquera ce début de siècle plus encore que le massacre de Tian An Men en 1989, que l’incarcération arbitraire d’opposants pour délit d’opinion est inacceptable. Elle l’est plus encore lorsque cette séquestration confine à la torture physique et morale ou à une forme de peine de mort rampante, comme c’est le cas pour Yu Wensheng 

L’universalisme des droits de l’Homme remis en question

Tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai ressenti en parcourant le monde, m’inspire un sentiment d’extrême fragilité s’agissant de l’état des droits de l’Homme et d’inquiétude quant à celui de l’universalisme. Il n’y a pas de continent, de pays qui soit au-dessus de la critique. La défense de l’universalisme, c’est l’enjeu du moment. Il faut prendre conscience que cette notion, qui était évidente pour les rédacteurs de Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 est aujourd’hui menacée de toutes parts. Ses ennemis portent le nom de régionalisme, de culturalisme, de relativisme. C’est l’idée qu’il y aurait plusieurs sortes de droits de l’Homme ou que ceux-ci devraient faire l’objet d’accommodements raisonnables en fonction des cultures et les traditions. Comme s’il existait une seule femme dans le monde pour trouver normal d’être violée pour les raisons culturelles, un seul être jeté dans une prison sans procès équitable qui n’éprouverait pas le même sentiment d’injustice. Comme si la torture était ressentie différemment selon la religion ou la couleur de peau !   

Les droits de l’Homme – une exigence fondamentale ressentie partout

Ces assauts contre l’universalisme se mènent sous nos yeux, au sein même de nos sociétés, mais également sur la scène internationale. A l’ONU, la Chine se prévaut des « valeurs asiatiques ». Comme si lhomo asiaticus avait moins que d’autres l’aspiration à sa liberté. C’est cela qu’il faut réfuter avec force si l’on veut être utile à Yu Wensheng et à tous ceux qui endurent le même sort, montrer que les droits de l’Homme ne sont pas un concept occidental mais, comme le disait si bien Jeanne Hersch, « une exigence fondamentale que l’on ressent partout ». Genève peut s’en orgueillir d’avoir un barreau et une Fondation Martin Ennals particulièrement engagés sur la défense des défenseurs. C’est un atout essentiel dans un combat qui est loin d’être gagné. Dans cette capitale du droit international et de la diplomatie, il faut dire aux Chinois qui aspirent à jouer un rôle central dans l’espace multilatéral que jamais nous n’oublierons Yu Wensheng, jamais ne renoncerons à la liberté et la dignité, que ces principes font aussi partie de notre face que nous n’avons pas plus de raison qu’eux de vouloir perdre.