Comment résister à la détention de longue durée des défenseur-euse-s des droits humains ?

juillet 7, 2022

Par Brian Dooley, Conseiller spécialisé en droits humains, Human Rights First.

De nombreux-euses défenseur-euse-s des droits humains courent un risque accru de se retrouver en prison en raison de leur activisme et, dans le pire des cas, pour de longues périodes. Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, estime dans son rapport de 2021 que des centaines de défenseur-euse-s croupissent en prison pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies.

Nous avons récemment organisé une discussion sur les stratégies que les acteurs des droits humains peuvent employer pour résister à la détention de longue durée. Voici un résumé des idées qui peuvent nous inspirer pour contrer les pièges de la détention de longue durée parmi lesquels la fatigue compassionnelle, les programmes contradictoires des gouvernements alliés, et « l’état de droit » dans les États autoritaires. Un point essentiel à retenir : si la détention de longue durée est destinée à effrayer d’autres défenseur-euse-s, en réalité, faire campagne pour la libération de défenseur-euse-s en prison peut inspirer et encourager la défense des droits humains.

Arrestation et détention d’un-e militant-e des droits humains

Sur tous les continents, les cas de condamnations de militant-e-s à de longues peines de détention font planer une ombre immense sur la situation des droits humains. Les autorités abusent des lois pour arrêter et inculper les défenseur-euse-s des droits humains dans le cadre de ce que l’on appelle « l’état de droit », en espérant que ces actions créeront un effet de peur ou de censure chez les autres militant-e-s.

Les stratégies que nous connaissons :

Agir vite : coordonner rapidement les organisations locales, les membres de la famille, les gouvernements alliés et les ONG internationales pour lancer la campagne de libération. La transmission d’informations aux capitales internationales fait partie intégrante de la stratégie de réponse rapide et ne doit pas être utilisée en dernier ressort.

Ensemble, nous sommes plus forts : Accorder la priorité aux ressources destinées à soutenir la coordination entre les familles, les ONG locales, régionales et internationales. Les démarches auprès des gouvernements alliés doivent être effectuées à la fois au niveau local et mondial.

Des stratégies que nous perfectionnons :

Des données de meilleure qualité et plus accessibles sur la détention : Le HCDH devrait créer une base de données de tous les cas de défenseur-euse-s détenu-e-s, laquelle, avec l’accord du/de la défenseur-euse, devrait être accessible au public et régulièrement mise à jour.

Partager les leçons apprises : Un échange de tactiques et un soutien mutuel entre les organisations qui travaillent dans différentes régions peuvent conduire à de meilleurs résultats.

Des défenseur-euse-s en détention tombé-e-s dans l’oubli : le pari des gouvernements

Les gouvernements s’attendent à ce que le monde finisse par porter son attention sur des questions plus urgentes et « oublie » les défenseur-euse-s en détention. Ils espèrent que les organisations de la société civile (OSC) finiront par s’essouffler et réorienteront leurs ressources vers de nouveaux cas qui ont plus de chances d’être libérés.

Les stratégies que nous connaissons :

Maintenir le « prix » de la détention à un niveau élevé : Il faut faire comprendre aux gouvernements qu’ils paieront un « prix » élevé en termes de réputation dans le cadre de forums multilatéraux ou de relations bilatérales, ou même sur le plan économique s’ils emprisonnent des militant-e-s des droits humains. Les OSC, les bailleurs de fonds et les gouvernements doivent allouer des ressources pour soutenir les campagnes de libération, afin que la presse continue à couvrir les événements, que les procès soient observés et que les visites de prisons se poursuivent. Les récompenses décernées aux défenseur-euse-s servent à maintenir leur visibilité et à apporter des ressources pour faire avancer les campagnes en faveur de leur libération.

Les stratégies que nous perfectionnons :

Se mobiliser de manière plus stratégique : Se recentrer sur les gouvernements et les accusations qu’ils portent contre les défenseur-euse-s pour remettre en question leur réputation. Relier les cas de détention à d’autres thématiques et développements qui se produisent dans le monde comme par exemple, les événements sportifs ou littéraires qui ont lieu dans des pays qui emprisonnent les défenseur-euse-s.

Fatigue compassionnelle : il est impossible de maintenir éternellement l’intérêt pour une affaire de détention.

La faible probabilité qu’une affaire soit résolue décourage les États alliés de s’impliquer. Le refus constant d’un gouvernement de procéder à une libération peut être démoralisant.

Les stratégies que nous connaissons :

Personnaliser la cause : Impliquer la famille et les proches du/de la détenu-e dans la campagne. Recruter des personnalités connues et respectées pour les campagnes afin d’attirer davantage l’attention sur la cause.

Mettre toutes les chances de son côté : Allouer davantage de ressources à un seul cas pour obtenir un succès, lequel peut à son tour redonner de l’élan à d’autres cas.

Des stratégies que nous perfectionnons :

Recadrer le problème : Soulever la question de la torture en détention qui, souvent, nuit le plus à la réputation et reste difficile à ignorer pour les gouvernements alliés.

Les doubles standards sapent la crédibilité des gouvernements alliés

Certains gouvernements soutiennent les droits humains et ceux-celles qui les défendent dans certaines situations, mais pas dans d’autres. Leurs actions de lobbying en faveur des cas de détention de longue durée peuvent être influencées par des intérêts conflictuels en matière de commerce, d’accès aux ressources ou de soutien diplomatique.

Les stratégies que nous connaissons :

Agir localement : Augmenter les ressources pour soutenir les institutions démocratiques et les militants locaux.

Demander aux gouvernements alliés de rendre des comptes sur les relations amicales qu’ils entretiennent avec les auteurs de violations des droits humains dans le cadre des mécanismes multilatéraux des droits humains. Faire pression pour que les régimes de sanctions contre les violations des droits humains, comme la loi Magnitsky, soient pleinement appliqués.

Des stratégies que nous perfectionnons :

Décoloniser les systèmes de droits humains : Exercer une pression à l’intérieur et à l’extérieur des mécanismes internationaux de défense des droits humains afin que le système de deux poids deux mesures ne soit pas toléré et que les pays soient examinés plus rigoureusement sur leur propre bilan en matière de droits humains.

Manque de ressources pour les campagnes contre la détention de longue durée Si le financement pour les droits humains est déjà difficile à trouver, c’est encore plus le cas pour les activités dont les chances de succès semblent faibles. En outre, certains donateurs ne veulent pas être trop étroitement associés aux cas de militants condamnés, de peur de contrarier les gouvernements hôtes.

La stratégie sur laquelle nous travaillons :

Rendre le financement plus cohérent : Canaliser les ressources vers les familles et les organisations locales qui peuvent faire entendre leur voix. Donner la priorité au financement de base qui permet aux organisations de réagir face aux cas de détention et de changer de tactique rapidement. Soutenir les prix décernés à des défenseur-euse-s des droits humains exceptionnel-le-s.

Des stratégies que nous perfectionnons :

L’innovation sans conditions : Les donateurs doivent réorienter leurs financements vers des approches expérimentales et innovantes, sans pénalités en cas d’échec.

Les donateurs doivent également rendre des comptes aux OSC lorsqu’ils se retirent de causes ou de dossiers où il y a conflit d’intérêts. Les donateurs doivent être les premiers à défendre le droit des défenseur-euse-s à défendre les droits humains.

Ce que nous faisons ne fonctionne pas

Lorsqu’un militant n’est pas libéré, il y a un sentiment d’échec collectif.

Il faut arrêter de faire ce qui ne marche pas : Les OSC doivent envisager de cesser les activités qui ne donnent pas de résultats concrets pour les militant-e-s les plus vulnérables. Une évaluation régulière de l’impact est nécessaire.

Mais la persévérance peut s’avérer payante : Une stratégie qui ne porte pas ses fruits pendant des années peut fonctionner lorsque les conditions sont réunies.

Passer le flambeau : Les militant-e-s qui ne sont pas emprisonné-e-s peuvent continuer à militer, même à l’étranger. Certain-e-s défenseur-euse-s parviennent également à poursuivre leur travail depuis l’intérieur de la prison. Faire entrer de nouvelles organisations dans une coalition peut apporter des ressources et des idées supplémentaires à la campagne.

Des stratégies que nous perfectionnons :

Essayer quelque chose de nouveau : ne pas avoir peur de rechercher l’innovation et de faire des erreurs si c’est pour nourrir le changement.

Redéfinir les termes du succès : au lieu de se focaliser exclusivement sur la libération, prendre en considération d’autres gains tels que la solidarité avec la famille, l’amélioration des conditions de détention, le renforcement des liens entre les organisations et la sensibilisation aux violations.

Connaître ses limites : Des conversations honnêtes doivent avoir lieu entre les OSC, les donateurs et les gouvernements sur les limites de nos stratégies actuelles. L’approche « incrémentaliste » adoptée par les grandes organisations internationales de défense des droits humains et par le système international des droits humains doit faire l’objet d’une évaluation honnête.