L’actualité au Turkménistan ? Un monde à part

mai 3, 2021

Ce n’est peut-être pas un hasard si le lointain Turkménistan apparaît comme un mystère pour beaucoup. Peu d’informations émanent de ce pays maintenu sous le joug du contrôle étatique. Sans l’engagement inlassable de notre invitée, le silence sur l’actualité au Turkménistan serait assourdissant. À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2021, la Fondation Martin Ennals et le Festival FIFDH Genève donnent la parole à l’une des seules voix indépendantes du Turkménistan : Soltan Achilova, finaliste du Prix Martin Ennals 2021 et à qui le FIFDH 2021 a dédié sa 19e édition. Avec courage et détermination, Soltan a osé dresser le portrait réaliste d’un paysage médiatique turkmène bien sombre.

Monopole d’État sur l’information

Par Soltan Achilova, Aşgabat, 3 mai 2021 – Les médias ont la vie dure au Turkménistan, où les gens ne lisent tout simplement plus les nouvelles. Un phénomène qui s’explique par une lassitude à l’égard de la propagande d’Etat et des « junk-news ». Mais comment parler d’actualités et de « reportages » – les piliers du journalisme – dans un pays où règnent une censure et un strict contrôle des médias ?

En dehors d’une poignée de journaux publicitaires à faible tirage, les médias indépendants sont inexistants au Turkménistan. Le monopole de l’information appartient aux médias étatiques, qui publient une propagande ennuyeuse et monotone.

Il y a quelques années, une gigantesque nouvelle maison d’édition a fleuri au centre d’Achgabat, reflet du souhait de l’État de rajeunir la ville. Mais ce « lifting » du paysage médiatique turkmène ne change rien à sa substance : journaux et magazines demeurent de mauvaise qualité et n’attirent que peu de lecteurs.

Certains magazines officiels couvrent des sujets nationaux, tandis que d’autres se concentrent sur les secteurs professionnels, avec des journaux dédiés aux éducateurs, aux professionnels de la santé, aux militaires ou encore aux entrepreneurs.

Toujours plus de coûts

Selon la loi, les employés du secteur public et privé doivent s’abonner, à leurs frais, à au moins deux magazines, l’un général et l’autre spécialisé. Le prix des journaux locaux varie entre 0,5 et 2,50€, à l’instar de certains journaux en Europe. Mais si leur prix est plus ou moins aligné sur celui des médias européens, les salaires, eux, ne suivent pas la même courbe : ils sont 90% inférieurs, ce qui rend le coût des « actualités » très élevé pour les Turkmènes.

Pour la population turkmène, les médias signifient plus de coûts, mais pas de nouvelles. Et l’obligation d’abonnement ne garantit pas non plus le lectorat. La demande pour la presse écrite est si faible qu’en avril 2021, les magazines de l’année dernière se vendaient encore dans les kiosques. Les marchands de journaux ne parviennent à joindre les deux bouts qu’en vendant des tickets de bus et des fournitures de bureau.

Pour couronner le tout, il est devenu presque impossible de se faire livrer le journal, faute de boîtes-aux-lettres. Elles sont hos-d’usage ou vandalisées. Les quelques personnes âgées encore abonnées à des journaux tels que « Türkmenistan » et « Neitralny Turkmenistan » (la seule édition en russe), doivent désormais louer leur boîte-aux-lettres au bureau de poste et à leurs frais, pour un coût supplémentaire, souvent inabordable pour elles.

Pénurie de papier… et de lecteurs

Parmi les nombreuses autres pénuries qui touchent le Turkménistan, telles que la nourriture et l’argent, figure la pénurie de papier, qui impacte la production et la distribution des journaux. Alors que la population est obligée de s’abonner et de payer pour ces publications d’État, elle ne reçoit pourtant souvent que la moitié des numéros qu’elle a payés. Inutile de préciser qu’ils ne sont pas remboursés pour ceux qui ne sont pas livrés.

Pour pallier à cette pénurie, les éditions en ligne ont fleuri et avec elles de nouvelles obligations d’abonnement, mais elles n’ont pas non plus dopé le lectorat. La version électronique du journal est généralement un simple scan en basse résolution de la version papier, presque impossible à lire sur un écran, et ce uniquement lorsque la connexion Internet fonctionne, ce qui est plutôt rare.

Pas de nouvelles, pas de problèmes

Ne vous méprenez pas, le contenu des médias turkmènes n’a rien à voir avec la vie réelle. Les médias officiels publient essentiellement des portraits du président, ses discours ou des articles qui le portent au pinacle. Les reporters ont peur de s’exprimer et de faire leur travail. Ils craignent de couvrir les « problèmes » d’actualités et le mot « problème » est d’ailleurs tout simplement interdit.

Cela s’applique également à la pandémie mondiale actuelle. L’utilisation des mots « coronavirus » et « COVID-19 » est pour l’heure bannie au Turkménistan. La pandémie ne fait donc l’objet d’aucune couverture, ni à la télévision, ni dans la presse écrite. Les mesures préventives visant à contrer le virus sont vaguement mises en œuvre, mais sous couvert de maladies infectieuses et respiratoires ordinaires plutôt que du Covid lui-même.

Tant d’espoirs refoulés

J’ai utilisé dans le cadre de cet article des mots qui sont sur le coup de la censure dans mon pays et je risque de subir des représailles pour avoir osé le faire. Mais à quoi sert d’être journaliste si ce n’est pour faire part de la réalité ? Et encore davantage aujourd’hui, en cette journée mondiale de la liberté de la presse.

Quel dommage de ne pouvoir m’exprimer que dans les médias à l’extérieur de mon pays. J’aspire à pouvoir, un jour, échanger plus librement avec mes confrères et consoeurs, au Turkménistan comme à l’international. Je rêve de pouvoir mieux faire connaître les bizarreries et beautés de mon pays – croyez-le ou non, il y en a beaucoup.

 

Photos © Soltan Achilova pour la Fondation Martin Ennals