Vers l’abolition de la peine de mort en Iran : un chemin étroit et difficile

novembre 1, 2022

 

Par Emadeddin Baghi, Lauréat du Prix Martin Ennals 2009

À toutes les « Mahsa »

Javad a commis un homicide involontaire à la suite d’une dispute avec l’homme qui causait des ennuis à sa femme. Pendant plusieurs années, il nous a appelés de la prison pour suivre son affaire judiciaire et téléphonait tous les jours chez lui. Mais depuis le matin de son exécution, sa fille âgée de dix ans, habituée à la sonnerie du téléphone, attend toujours… C’est une histoire ordinaire que connaissent bien les familles de personnes exécutées en Iran.

L’abolition ou la suspension de la peine de mort dans plus de deux tiers des pays du monde semble être un accomplissement exceptionnel si l’on considère qu’il y a quelques décennies, la peine de mort était encore appliquée dans la plupart des nations du monde. Selon le Coran, tuer une seule personne équivaut à tuer toute l’humanité (sourate Al-Maidah, verset 32). Malgré les progrès que nous avons réalisés, cette question revêt encore une grande importance à nos yeux, d’autant plus que de nombreux pays qui appliquent cette peine sont des pays musulmans.

Certains pays riches et industrialisés maintiennent également la peine de mort, bien que le nombre d’exécutions y soit très faible. Ailleurs, la simple existence de la peine de mort est utilisée pour justifier l’existence de ce châtiment dans les sociétés où le nombre d’exécutions est élevé. En réponse aux critiques, ses adeptes affirment que cela ne signifie pas qu’ils sont arriérés ! Regardez, le Japon et certains États américains ont aussi la peine de mort.

En 2021, des organisations de défense des droits humains comme ECPM et Amnesty ont recensé au moins 2 025 condamnations à mort qui ont été prononcées, parmi lesquelles 579 exécutions dans 18 pays différents. Il s’agit là d’un chiffre énorme dans une guerre unilatérale et silencieuse. Cela signifie que dans certaines situations critiques, le génie de la peine de mort pourrait à nouveau sortir de sa lampe.

L’Iran, l’un des berceaux de la civilisation, est malheureusement l’un des quatre États dont les statistiques sur la peine de mort ont été les plus élevées ces 40 dernières années. Même si cela est contraire au contenu de la législation qui stipule expressément que les exécutions doivent être notifiées, les statistiques ne sont pas annoncées de manière officielle, précise et transparente. Des informations non officielles provenant de sources telles que d’autres prisonniers indiquent un nombre plus élevé d’exécutions non déclarées.

Il est particulièrement pertinent de distinguer deux dynamiques à l’œuvre en Iran autour de la peine de mort, lesquelles ont une forte interaction dans la réalité.

Tout d’abord, dans les pays musulmans, y compris l’Iran, il est généralement admis que la peine de mort pour le crime d’homicide fait partie des règles du Saint Coran. Par conséquent, s’opposer à la peine de mort reviendrait, selon certains, à s’opposer au Coran et à la religion. Aussi, l’application de la peine de mort bénéficie d’un soutien de la part des personnalités religieuses et de la société.

Les exécutions pour le crime d’homicide sont différentes des exécutions politiques. Par exemple, le gouvernement de Sisi en Égypte a condamné 49 personnes à la peine de mort en 2021 et 23 en 2022, en dehors des condamnations des apostats.

La deuxième question est le volume des exécutions pratiquées au cours de l’année. Pour ces deux questions, nous avons pu constater des changements et des progrès, même s’ils ont été lents.

Il y a 20 ans, le journal Neshat a été interdit après que j’ai écrit un article sur les exécutions. J’ai été condamné à la prison, tout comme les journalistes, le rédacteur en chef et le directeur général du journal. J’ai néanmoins continué à écrire sur l’application de la peine de mort en Iran, déterminé à prouver que, d’un point de vue religieux, il est possible de l’abolir et que cela n’a rien à voir avec la religion.

Grâce à la poursuite de ce débat, la situation en Iran a aujourd’hui évolué. Des articles plus détaillés et plus critiques que celui que j’ai écrit il y a 20 ans sont publiés dans la presse, sans susciter des réactions démesurées. Par exemple, une lettre adressée au Chef du pouvoir judiciaire critiquant l’exécution de condamnés de moins de 18 ans a été publiée dans les médias iraniens (Jamaran News Website, Ensaf News Website, ainsi que dans le journal Etemad le 7 août et le journal Sazendagi le 8 août 2021). Il y a deux ans, pour la première fois, j’ai obtenu l’autorisation du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique de publier le livre Vivre, un ouvrage de non-fiction critiquant la peine de mort en Iran.

Bien sûr, nous avons encore un long chemin à parcourir jusqu’à la normalisation de la liberté d’expression et des discussions critiques sur ce sujet. Les sondages montrent qu’environ 60 % de l’opinion publique soutient encore la peine de mort, mais ce pourcentage est en baisse.

D’autre part, la peine de mort continue d’être appliquée en Iran. L’une des rares avancées est que la peine de mort pour les crimes liés à la drogue a été modifiée en janvier 2018, ce qui a entraîné une diminution du nombre de condamnations à mort. Au sein du système judiciaire, les institutions de paix et de réconciliation sont devenues plus actives qu’auparavant, et le nombre de personnes sauvées de l’exécution grâce au pardon des plaignants a considérablement augmenté. Plus de 300 personnes sont néanmoins encore exécutées tous les ans en Iran et c’est effrayant.

Nous, au sein de l’Association des Gardiens de la Vie (qui n’est pas autorisée à opérer officiellement en Iran), pensons qu’au lieu du désespoir, de la confrontation et du battage médiatique, nous devrions travailler, en priorité, sur trois axes :

  1. Le travail intellectuel et la persuasion par des discours, des débats, des articles et des livres ;
  2. La protection juridique des personnes condamnées à l’exécution ; et,
  3. L’obtention du pardon des plaignants.

En Iran, le monde universitaire joue un rôle important dans la sensibilisation de l’opinion publique à la question de l’abolition de la peine de mort. Deux associations d’étudiants de l’université Allameh Tabatabai et de l’université de technologie Amirkabir ont produit une série de podcasts intitulés « Mouyeh » (« plaintes ») sur ce sujet.

En conclusion, les pays musulmans qui appliquent encore la peine de mort sont confrontés à un défi de taille : combattre la croyance selon laquelle l’abolition de la peine de mort est un déni du Coran. Les institutions de défense des droits humains des pays musulmans devraient être encouragées à diffuser une lecture différente du Coran dans ce contexte, ce qui rendrait plus favorable le soutien des esprits musulmans à l’abolition de la peine de mort.

Cet article a été écrit pour la première fois alors que Mahsa Amini était encore en vie et inconnue de tous. Elle a été arrêtée pour ne pas avoir porté correctement son voile, selon l’interprétation du Coran que la « police des mœurs » prétend appliquer. Aujourd’hui, nous sommes confrontés aux conséquences de sa mort tragique dans le « Gestht Irshad », qui a déclenché une vague de protestations chez les Iraniens et a attiré l’attention de la communauté internationale au cours des dernières semaines. Plus de 70 manifestants et plusieurs policiers ont été tués.

Outre la mort de Mahsa, d’autres événements importants se sont produits au cours des derniers jours dans la région. Le peuple afghan, qui vit depuis des années sous l’ombre sinistre du terrorisme, pleure l’attentat suicide commis par des terroristes de l’État islamique dans une école de filles chiites hazara à Kaboul, dans le cadre duquel 32 jeunes filles ont été tuées et 40 autres blessées. De même, l’État islamique affirme que ses actions violentes sont l’application de son interprétation du Coran. L’Iran et l’Afghanistan ont déjà connu des incidents similaires. Aujourd’hui, ces sociétés continuent de demander à leur gouvernement de rendre justice et de lutter contre l’impunité pour les victimes. Cela montre que le nombre de personnes tuées sans crime et sans procès dans le monde est bien plus important que celui des exécutions. Nous devons lutter contre toutes les formes de violence et l’exécution n’est que l’un de ses visages.