La force des médias: le message de Luon Sovath à la nouvelle génération

septembre 29, 2020

© Omar Havana

Au Cambodge, la situation de la société civile et des défenseur.e.s des droits humains  s’est gravement détériorée depuis les élections parlementaires de 2018. Le Vénérable Luon Sovath, lauréat du prix Martin Ennals 2012, a fait état de l’appropriation abusive de terres. Il a partagé au péril de sa vie de nombreux poèmes, vidéos, et chansons sur les réseaux sociaux. En représailles à son engagement, il est devenu la cible d’une violente campagne de diffamation depuis mai 2020. Alors que son pays est en proie à une nouvelle escalade répressive, le Vénérable Sovath a fui Phnom Penh pour la Suisse. La Fondation Martin Ennals l’a rencontré pour évoquer sa situation, son combat pour la démocratie et l’espoir qu’il porte pour son pays.

Vous avez fui le Cambodge et vous vous êtes récemment installé en Suisse. Comment se passe votre vie quotidienne si loin de votre pays et de votre communauté religieuse ?   

La situation politique dans mon pays s’est en effet aggravée. J‘ai donc dû me rendre en Suisse pour des raisons de sécurité. Depuis juillet 2020, je vis dans un temple bouddhiste du canton de Berne, où je savoure paix et tranquillité, même si je continue à aider le peuple cambodgien de loin. Mon pays, mon temple, ma famille et mes amis me manquent beaucoup, mais je suis très reconnaissant de l’accueil qui m’a été fait en Suisse, pays qui me permet de m’exprimer librement, sans avoir à craindre pour ma vie.   

Êtes-vous inquiet pour l’avenir ?     

Oui, je suis inquiet. Pas tant pour mon sort personnel – même si tout est très incertain pour l’instant – mais surtout pour le peuple cambodgien, confronté à une répression sans merci de ses droits fondamentaux. Défendre les droits humains n’est pas un crime, mais s’en est un aux yeux du parti au pouvoir.      

Vous êtes connu comme le « Moine des réseaux sociaux « . Pourquoi avoir utilisé l’audiovisuel et les réseaux sociaux pour promouvoir les droits humains et documenter leurs violations au Cambodge ?    

Seule la “vraie” information sera source de justice. Sans preuves tangibles des violations des droits humains commises, il n’y a pas de dénonciation possible. Le régime cambodgien sera susceptible de nous écouter que si nous apportons des preuves solides. Sinon, ils nous accuseront de colporter des fake news. En 2009, j’ai documenté de nombreuses violations des droits humains avec ma caméra. Je téléchargeais les vidéos sur des CD et les transmettais à mon entourage qui les partageait. Avec l’essor de Facebook en 2013 et l’accession aux smartphones, tout est devenu plus simple : j’ai pu diffuser des événements en direct ou partager des informations directement sur les réseaux sociaux. 

Une campagne de diffamation a conduit à votre exil. Considérez-vous toujours que les réseaux sociaux sont un allié dans la lutte pour la justice sociale, la démocratie et les droits humains ?    

L’accès à l’information est crucial dans la lutte pour les droits humains. Surtout dans un pays comme le Cambodge, où il n’y a ni presse libre ni liberté d’expression, l’utilisation des réseaux sociaux est un moyen de donner du pouvoir à la population. Les autorités cambodgiennes en ont d’ailleurs pris conscience et elles emploient désormais ces mêmes outils contre les activiste.e.s, avec des campagnes de harcèlement ou de diffamation à leur encontre. Pourquoi ? Parce qu’elles craignent que l’information ne conduise la population à remettre en question leur pouvoir. Je pense malgré tout que les médias sociaux sont un allié de la justice sociale et de la démocratie, mais la bataille entre l’information et les fake news est déséquilibrée car les autorités investissent des moyens conséquents face auxquels les activistes peuvent difficilement régater. Nous continuons cependant à nous former et à nous entraider sur la meilleure manière d’utiliser les médias sociaux pour documenter les violations des droits humains et des droits fonciers.      

Vous êtes un défenseur des droits humains renommé, mais aussi un moine bouddhiste. Comment votre foi inspire-t-elle votre engagement ?   

Le Bouddha a prôné le respect de la vie, de la paix et de la justice. Ces trois piliers du bouddhisme sont aussi ceux des droits humains. Bouddha est donc à mon sens l’incarnation par excellence du défenseur des droits humains et de l’environnement ! A ce titre, il n’est donc pas surprenant que de nombreux moines cambodgiens se soient engagé en faveur des droits humains. J’ai été l’un des premiers moines à défendre la justice sociale dans mon pays, mais je ne suis plus le seul depuis longtemps. Toutefois, il n’est pas sans danger pour les moines de s’impliquer sur ces sujets. En effet, le bouddhisme est une institution indépendante et apolitique, symbole de paix et de justice dans mon pays ; alors lorsque les moines s’expriment sur les abus du régime, ils représentent une menace d’autant plus sérieuse pour le gouvernement cambodgien, qui riposte en multipliant les mesures de répression.   

Vous avez reçu le prix Martin Ennals en 2012. Ce prix a-t-il fait une différence pour vous ?  

Oui, il a fait une grande différence ! Le Prix Martin Ennals est important non seulement pour les défenseurs des droits humains au Cambodge, mais dans le monde entier. Il m’a apporté reconnaissance et protection. Alors que mon gouvernement dénigrait mon travail, le Prix m’a donné la confiance nécessaire pour poursuivre mon combat, sachant que je faisais ce qui était juste.    

Avez-vous un message pour les jeunes militant.e.s 

De nombreux défis attendent la nouvelle génération en ces temps troublés, au Cambodge comme ailleurs. Mon conseil à la jeune génération est de ne jamais renoncer à se battre pour les droits humains et les droits fonciers. Ils doivent utiliser tous les outils à leur disposition pour défendre la justice sociale et documenter les abus, que ce soit par le biais de leurs smartphones, des médias sociaux ou autres. Les jeunes militant.e.s doivent rester visibles et connecté.e.s. C’est ce qui les rendra plus fort.e.s.   

Et quel est votre espoir pour l’avenir ?  

Selon le Bouddha, le monde change sans cesse. Le Cambodge finira donc par changer lui aussi. Nous devons continuer à donner au peuple les moyens d’agir, afin qu’il puisse s’unir avec la solidarité et demander au parti au pouvoir des changements. Dans son cœur, le peuple cambodgien a déjà changé. C’est à nos autorités maintenant d’aller dans le sens de cette évolution. 

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