La Fondation Martin Ennals dénonce la détérioration de l’état de santé d’Abdul-Hadi Al-Khawaja en prison
Lors d’un récent appel téléphonique à sa fille Zaynab, Abdul-Hadi Al-Khawaja l’a informée que son état de santé s’était gravement détérioré en raison de la négligence et du refus de soins médicaux dont il a récemment fait l’objet en prison.
Lauréat du Prix Martin Ennals 2022, Abdul-Hadi est un militant bahreïno-danois qui a documenté des violations des droits humains, défendu des victimes et des survivants, et dénoncé publiquement les abus systématiques commis par le régime au Bahreïn et au-delà. Il est le cofondateur d’importantes organisations de défense des droits humains dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).
Le mois d’avril marque le 11e anniversaire de la détention d’Abdul-Hadi, une période douloureuse pour sa famille et ses amis qui se souviennent alors qu’il a subi de nombreuses formes de torture, qu’il est privé de ses droits humains fondamentaux et qu’il reste détenu à l’isolement en prison par les autorités bahreïnies. Il a 61 ans aujourd’hui.
L’interdiction d’avoir des contacts téléphoniques n’est pas la première violation dont Abdul-Hadi a été victime : lors de son arrestation en 2011, il a été sévèrement battu, ce qui lui a causé un traumatisme contondant et de multiples fractures au visage. En raison des nombreux actes de torture qui lui ont été infligés, il souffre constamment de douleurs au bas de la colonne vertébrale, au cou et aux articulations des hanches. Récemment, Abdul-Hadi a commencé à ressentir les symptômes d’un glaucome, une maladie qui entraîne une cécité irréversible.
Les médecins lui ont prescrit des traitements et de la physiothérapie. Cependant, au cours des derniers mois, il n’a bénéficié d’aucune séance de physiothérapie et il n’a vu aucun médecin. Les gardiens lui donnent des explications contradictoires telles que « comme tu n’as pas assisté aux séances de physiothérapie, il est inutile de t’amener chez le médecin ».
En janvier 2022, Abdul-Hadi a été conduit à l’hôpital pour un suivi de son glaucome et a dû rester assis à l’extérieur pendant trois heures alors qu’il est censé, pour des raisons médicales, ne rester assis que quinze minutes à cause de problèmes dans le bas de sa colonne vertébrale. Les gardiens ne l’ont jamais amené à l’intérieur de l’hôpital pour son rendez-vous. Au cours des derniers mois, il a commencé à souffrir de spasmes musculaires dans les jambes, dus à une carence en magnésium. Il a besoin de toute urgence de faire une prise de sang, mais pendant des mois, les contrôles de routine auraient été retardés à cause de la pandémie de COVID-19. Abdul-Hadi réfute cette affirmation étant donné qu’en mars 2022, toutes les personnes détenues dans le même bloc pénitentiaire que lui ont eu des prises de sang, sauf lui.
Il a dit à ses filles lors de leur dernier appel téléphonique :
« Ils ont arrêté tous mes traitements et ils ont annulé mes rendez-vous médicaux. Au début, je ne savais pas pourquoi. Je suis le seul de tout mon bloc cellulaire dans ce cas… Je pensais qu’ils couperaient mes appels téléphoniques en guise de représailles suite à mes déclarations sur la Palestine. Je leur ai dit qu’ils ne m’avaient pas amené à mon rendez-vous chez l’ophtalmologue alors qu’ils savaient que c’était urgent et que le médecin, lui-même, avait déclaré que c’était urgent. Même les médecins ont été surpris qu’on ne m’emmène pas [au rendez-vous] ».
Le refus d’accès aux soins médicaux, le fait de couper toute communication entre les prisonniers et leur famille, mais aussi les mauvais traitements physiques sont des mesures régulièrement utilisées par les autorités bahreïnies pour intimider ou punir les prisonnier-ère-s d’opinion. Human Rights Watch et des groupes de défense des droits humains bahreïnis ont documenté des cas de défenseur-euse-s des droits humains auxquel-le-s on a refusé l’accès aux services médicaux après avoir subi des tortures et des abus. Les prisonnier-ère-s d’opinion sont détenu-e-s au secret sans contact avec les membres de leur famille et les autorités bahreïnies ne poursuivent pas en justice les gardiens et les fonctionnaires qui commettent des violations des droits humains.
Parallèlement, le gouvernement bahreïni tente d’améliorer son image à l’étranger. Bahreïn est le siège des Forces maritimes combinées dirigées par les États-Unis, une alliance de 33 pays qui ne peut exister que si ses participants ignorent les graves violations des droits humains que le gouvernement perpétue. L’administration Biden donne la priorité à la coopération en matière de sécurité et aux questions régionales plutôt qu’aux questions de responsabilité en matière de droits humains.
Des pays limitrophes comme l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis ont accordé au pays une aide de plus de 10 milliards de dollars en 2022 pour suppléer à la baisse des revenus du pétrole. Le Gulf Centre for Human Rights a soulevé des sujets de préoccupation alarmants concernant l’histoire des atrocités commises par les pays du Golfe à l’égard des défenseur-euse-s des droits humains et a mis au jour leur tentative de consolider leur influence économique et géopolitique tout en projetant l’image de pays progressistes à l’étranger.
À ce jour, les Nations unies n’ont pas été en mesure d’influencer de manière significative le Bahreïn s’agissant du traitement qu’il inflige aux prisonniers d’opinion. En 2021, une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a condamné l’usage inutile et disproportionné de la force par les policiers pour garantir la livraison rapide de traitements médicaux en cas de besoin. Le pays refuse l’accès à des experts indépendants qui évalueraient la situation des droits humains, malgré les déclarations annuelles du Conseil des droits de l’homme déplorant les violations des droits humains dans la région.
Au cours de ses années de détention, Abdul-Hadi a fait plusieurs grèves de la faim pour protester contre sa détention arbitraire et les violations systématiques des droits humains commises par le gouvernement autoritaire bahreïni, mais il reste emprisonné.
« La récente invasion de l’Ukraine par la Russie est un exemple de ce qui se passe lorsque les auteurs de violations ne répondent pas de leurs actes ; c’est le résultat de la politique de « deux poids, deux mesures » employée par les mécanismes et institutions internationaux de défense des droits humains », déclare sa fille Maryam Al-Khawaja. « Encore et encore, la communauté internationale trouve des excuses pour détourner le regard lorsque les gouvernements du Moyen-Orient violent les droits humains. La région a dû subir une crise majeure et de terribles souffrances qui auraient pu être évitées si les États avaient été cohérents dans leur engagement pour la liberté et la démocratie. »
Lorsqu’il a appelé Zaynab dernièrement, Al-Khawaja a nommé les auteurs des tortures qu’il a subies en prison. Aucun nouveau rendez-vous médical a été programmé pour lui.