13 ans plus tard, Asmaou Diallo reste optimiste
Le 28 septembre 2009, des milliers de manifestant-e-s pro-démocratie se rassemblaient dans le stade de Conakry (Guinée) pour protester contre le coup d’État organisé par Moussa Dadis Camara. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les civils ; plus de 150 personnes ont été tuées, et au moins 109 femmes ont été violées ou agressées sexuellement, selon une enquête de l’ONU. Treize ans plus tard, un juge guinéen a annoncé l’ouverture d’un procès contre l’ancien président Camara et dix autres personnes accusées d’être responsables du massacre.
Asmaou Diallo est à la tête du mouvement local de soutien aux victimes, finaliste du Prix Martin Ennals 2015, présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA) et défenseuse des droits humains. Elle pense que l’implication du ministre de la Justice dans le processus d’organisation de ce procès est d’une grande importance.
« Tout d’abord, nous avons constaté que le président de transition, le colonel Mamady Doumbouya, s’est impliqué dans le processus. Il s’est rendu au ministère de la Justice et a déclaré qu’il souhaitait que le procès débute le 28 septembre 2022. Ensuite, le ministre de la Justice a reçu mon équipe pour la première fois, puis nous nous sommes rencontrés une deuxième fois… La possibilité de l’ouverture d’un procès nous a semblé plus concrète que jamais. », a-t-elle déclaré.
Les événements qui se sont déroulés au stade de Conakry en 2009 ont été qualifiés par les Nations unies de « crimes contre l’humanité ». La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert un examen préliminaire sur la situation en Guinée en 2009. La CPI est souvent utilisée comme une juridiction de dernier recours lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent pas poursuivre des crimes graves. Au cours de la dernière décennie, le Bureau du Procureur de la CPI et un expert du Bureau de la Représentante spéciale des Nations unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit (SRSG-SVC) en Guinée ont travaillé en collaboration avec les autorités locales et les organisations de la société civile. Asmaou a collaboré avec les 18 missions de la CPI dans le pays et est intervenue dans le cadre des enquêtes de la SRSG-SVC. Ces actions ont contribué à la tenue du procès.
La situation des droits humains en Guinée reste préoccupante. Depuis que le colonel Doumbouya a pris le pouvoir en 2021, les libertés civiles sont malmenées. Les autorités ont dissout le principal parti pro-démocratie et ont ouvert le feu sur les participant-e-s à des manifestations.
Asmaou a été profondément affectée par la perte de son fils lors des événements de 2009. Aujourd’hui, en raison de son travail de soutien public et de plaidoyer en faveur des victimes, elle craint pour sa sécurité : elle a peur d’être victime de représailles de la part des personnes impliquées dans le massacre. Elle a souligné que de nombreuses personnes ne sont pas favorables à la tenue d’un procès, en particulier les soldats.
« Les gens me demandent pourquoi je ne me tais pas. Je ne me tairai jamais. Il faut que la vérité soit connue coûte que coûte, nous espérons que dès l’ouverture du procès le 28 septembre, la vérité sera révélée. Nous voulons mettre un terme à ce combat et aller enfin de l’avant ».
En Guinée, la violence sexuelle est utilisée comme une stratégie d’intimidation contre les défenseuses des droits humains. Les militaires s’en servent comme d’une arme pour les marginaliser et les empêcher de s’exprimer.
« Je me retrouve au milieu de toutes ces femmes qui ont subi ces viols. Je sais combien de fois elles ont été traumatisées, et je sais combien elles ont lutté pour surmonter tout cela. Parce que le viol est tabou en Guinée, il n’est pas facile pour les victimes d’en parler ».
Au cours des dernières années, Asmaou et son équipe ont porté la voix des femmes sur la scène nationale. Grâce à son engagement et au soutien de ses partenaires, Asmaou est en mesure de fournir aux victimes une prise en charge médicale et psychologique. De nombreuses victimes ont désormais le sentiment de pouvoir parler ouvertement de ce qui leur est arrivé.
« Je suis fière de ces femmes. Elles ont décidé d’aller de l’avant, de se battre et de briser le silence pour que nous puissions comprendre. En parlant de ce qui s’est passé, nous apprenons aux hommes et aux femmes à prendre conscience de la valeur des femmes. Ce n’est pas aux femmes de faire attention à ce qu’elles font, c’est aux hommes de se comporter correctement. »
Bien qu’il ait fallu treize ans pour que la vérité parvienne enfin à éclater, le processus et ses résultats sont cruciaux pour garantir, à l’avenir, les droits des Guinéens. Le peuple guinéen s’attend à ce que toutes les victimes bénéficient d’un soutien médical et psychologique en guise de mesure de réparation et d’une garantie de non-répétition. C’est ce qu’il considérait initialement comme la justice.
Asmaou nous a confié que l’optimisme est l’une des plus grandes leçons qu’elle a apprises de toutes ses années de militantisme :
« Nous devons être optimistes. L’optimisme nous donne la force de rester engagé-e-s. Quand je vois les victimes et les situations dans lesquelles elles se trouvent, quand je reçois des menaces pour mon militantisme et après avoir perdu mon fils que je ne retrouverai pas, je me dis que nous devons nous engager pour celles et ceux qui sont encore en vie, pour les protéger. Je prends mon courage à deux mains, je reste focalisée sur mon combat et surtout je reste optimiste pour demander de l’aide afin d’atteindre mon objectif : la fin de l’impunité.
Le Prix Martin Ennals reste gravé dans ma mémoire. C’est un honneur, une marque de reconnaissance publique et internationale pour mon travail, mon combat et mon engagement envers les victimes du 28 septembre 2009. Le Prix m’a apporté la protection nécessaire et m’a encouragée à poursuivre ce combat ».
La Fondation Martin Ennals se fait l’écho des appels lancés par Asmaou Diallo pour promouvoir les droits des femmes et la justice pour les victimes du massacre de 2009. Nous demandons instamment aux autorités guinéennes de protéger les défenseuses des droits humains et de leur permettre de poursuivre leur lutte inébranlable contre l’impunité.