Un thé à Damas avec un géant des droits humains – Aktham Naisse (1951-2022)

février 15, 2022

C’est avec une profonde tristesse que la Fondation Martin Ennals annonce le décès de notre lauréat 2005, Aktham Naisse. Fervent avocat des droits humains, il s’est battu toute sa vie pour l’État de droit et la démocratie en Syrie. En l’honneur de ce géant des droits humains parti beaucoup trop tôt, le cinéaste Willem Offenberg se souvient d’une interview qu’il a réalisée avec Aktham Naisse à Damas en 2005. 

 

Lauréat du Prix Martin Ennals 2005 Aktham Naisse

Par Willem Offenberg – C’est dans un petit café du centre-ville de Damas, que Lina Sinjab, une productrice de télévision locale a rencontré Aktham Naisse en 2005 après sa nomination au Prix Martin Ennals. Mon équipe de tournage n’était alors pas été autorisée à accéder à se rendre en Syrie ; c’est donc de loin que nous l’avions rencontré. Il s’était confortablement installé dans son fauteuil préféré, une tasse de thé très sucré et un narguilé à portée de main et répondait patiemment à nos questions. Cet avocat syrien spécialiste des droits humains, était fraîchement sorti de prison et attendait l’issue de son procès, mais cela ne semblait pas le perturber. Pas le moins du monde. 

Un engagement inébranlable en faveur des droits humains

Après l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000, l’organisation de défense des droits de l’homme fondée par Naisse – le Comité pour la défense des libertés démocratiques et des droits de l’homme (CDF) – a publié sur Internet une déclaration demandant la fin de l’état d’urgence. Des centaines de manifestants se sont présentés devant le Parlement syrien. Au sein du monde arabe, nombreux sont ceux qui considèrent la naissance du CDF en 1989 comme l’événement fondateur du mouvement actuel pour les droits humains en Syrie. C’était en effet la première fois que la question des droits humains et des libertés fondamentales était mise en avant sur la scène politique en Syrie. 

Actif dans les mouvements démocratiques en Égypte de 1974 à 1976, Naisse a été arrêté pour la première fois en février 1982 avec un groupe d’avocats réclamant le respect des droits humains. Arrêté de nouveau à plusieurs reprises, il a été détenu au secret et brutalement torturé en prison. Pourtant, à chaque libération, il a imperturbablement poursuivi son action. Au sein du CDF, il a contribué à la publication de « Sawt al-Dimokratiyyah » (la voix de la démocratie) et s’est exprimé dans de nombreuses conférences nationales, régionales ou encore internationales pour la promotion des droits humains.  

« Je me suis engagé en politique dès 1966, alors que je n’avais que 14 ans« , nous avait-t-il confié. « J’ai souvent été jeté en prison et pour différents motifs, en 1980, 1981, 1985 puis en 1987. En Syrie, c’est la nature dictatoriale du régime qui a donné naissance à l’activisme politique… Le peuple syrien endure des expériences amères depuis trop longtemps, que ce soit à l’ère du colonialisme français ou à celle plus récente du régime tyrannique au pouvoir. Cette injustice est inhumaine et touche tous les mouvements et activités politiques. Ce sont ces événements, je pense, qui m’ont poussé à militer pour les droits humains, afin de mettre un terme à l’injustice. » 

Un doux géant des droits humains

Le jour de notre entretien à distance, tout chez Aktham Naisse respirait le calme, la gentillesse et la douceur, même lorsqu’il en venait à évoquer les mauvais traitements subis en prison.   

Plus tôt dans l’année, en avril 2004, il avait été arrêté et renvoyé à la prison de Sednaya où il avait été victime d’une attaque cérébrale, le laissant partiellement paralysé. Il y avait entamé une grève de la faim avant d’êter libéré sous caution.  

Les accusations auxquelles il faisait alors face en disent long sur la nature du régime syrien de l’époque comme d’aujourd’hui : « Opposition aux objectifs de la révolution », « diffusion de fausses informations visant à affaiblir l’État » et « affiliation à des organisations internationales ». Naisse risquait ainsi une peine de quinze ans de travaux forcés.  

Peu après l’entretien mené à Damas, et suite aux appels lancés par de nombreuses organisations de défense des droits humains, Aktham Naisse avait été acquitté de toutes les charges. Il avait alors quitté la Syrie pour un exil parisien, d’où il avait continué à écrire et à militer pour les droits humains en Syrie.

Les événements tragiques survenus depuis dans son pays ont peut-être précipité sa disparition prématurée le 5 février 2022. 

Willem Offenberg 

Producteur local CBS News 

(Anciennement avec Amnesty International)