Les retombées du 11 septembre: le cas des défenseurs des droits humains

septembre 21, 2002

Plus de 30 défenseurs des droits humains et experts internationaux se sont réunis du 18 au 21 septembre 2002 à l’Académie orthodoxe de Crète pour évaluer l’impact des événements du 11 septembre 2001 sur leur travail. Ils ont réfléchi à leur impact négatif sur la cause des défenseurs des droits humains mais ont aussi exploré de nouvelles possibilités pour promouvoir le respect des droits humains dans ce nouveau contexte.

La retraite a été organisée par l’Académie orthodoxe de Crète en étroite collaboration avec la Fondation Martin Ennals, la Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme de Grèce, le bureau des défenseurs des droits humains du Service international pour les droits de l’homme (Genève) et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme à Paris, un programme conjoint de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Cet événement a pu aussi être organisé grâce au soutien financier de la Commission européenne (DG/EAC) et Novib (Pays-Bas).

CONCLUSIONS

Les événements du 11 septembre 2001 ont créé des conditions dans lesquelles il est devenu plus difficile pour les défenseurs des droits humains d’effectuer leur travail. Dans ce contexte, les participants ont formulé plusieurs observations générales:

Dans de nombreux pays, les mesures anti-terroristes ont permis de renforcer la culture du secret et ont empêché les défenseurs des droits humains d’avoir accès à l’information, ce qui entrave gravement leur capacité à défendre les droits des autres.

Les retombées directes de l’après-11 septembre sur les activités des défenseurs des droits humains varient d’un pays à l’autre. Dans certains pays, de nouvelles lois de sécurité nationale, parfois de grande envergure, ou des mesures administratives sont envisagées ou ont été introduites par les gouvernements. Cette situation est inquiétante même si dans certains pays les législateurs ont agi efficacement pour limiter l’introduction de telles mesures visant à restreindre les droits humains et le travail des défenseurs des droits humains. Dans peu de cas, les tribunaux nationaux sont parvenus à contester les nouvelles lois, les mesures administratives et les pratiques des gouvernements depuis le 11 septembre pour des motifs liés aux droits humains. Rares sont ceux qui ont cherché à mettre un terme à ces pratiques abusives qui restreignent le travail des défenseurs des droits humains.

Plus généralement, la campagne internationale contre le terrorisme a permis aux gouvernements répressifs de trouver de nouvelles justifications à leurs politiques qui violent les droits humains. Toutefois, l’impact sur les défenseurs des droits humains a souvent été plus indirect. Dans ces pays, des mesures juridiques et administratives qui entravent le travail des défenseurs des droits humains existaient déjà ou ont simplement été mises en oeuvre avec davantage de vigueur dans ce nouveau contexte de lutte contre le terrorisme où l’accent est mis sur la sécurité nationale avant tout. Il s’agissait aussi de lois et de mesures que certains gouvernements voulaient de toute façon introduire mais qui ont pu être désormais poussées avec une moindre opposition.

Les détentions arbitraires, le refus du droit à l’habeas corpus, les procès inéquitables, une surveillance accrue et non règlementée, une liberté d’association et d’expression restreinte, la saisie injustifiée de fonds, les extraditions et les renvois express sans garantie figurent parmi les questions les plus problématiques qui ont fait surface depuis le 11 septembre, en particulier pour les personnes et groupes qui appartiennent aux minorités “suspectes”.

Les défenseurs des droits humains sont quelquefois eux-mêmes la cible de campagnes de diffamation par leurs propres gouvernements ou autres acteurs de la société qui prétendent qu’ils sont associés à des activités terroristes.

Lorsque des actes terroristes sont commis, les gouvernements ont le droit de prendre des mesures pour protéger la vie et la liberté des citoyens, des institutions démocratiques et des droits humains plus généralement. Les mesures pour prévenir et punir les actes terroristes devraient protéger les droits humains, la démocratie et la sécurité humaine. Des mesures qui sapent ces valeurs fondamentales seront vraisemblablement contre-productives.

A plus long terme, les défenseurs des droits humains devront traiter des problématiques plus larges de l’aliénation politique et de la violence. A ce propos, les participants ont souligné l’importance d’une éducation sur les droits humains et des efforts visant à améliorer la qualité de la couverture médiatique des questions liés aux droits humains. Tout en reconnaissant l’absence de simple lien entre pauvreté et violence, les participants ont aussi reconnu que la marginalisation sociale et les injustices économiques créent un contexte favorable à l’émergence de la violence politique. Aussi, le travail visant à promouvoir la sécurité sociale et économique n’est pas moins important que celui visant à promouvoir une justice politique. C’est pourquoi les défenseurs des droits humains devraient accorder davantage d’attention à la protection et la promotion des droits économiques, sociaux et culturels.

Les participants se sont aussi montrés préoccupés quant aux autres changements des politiques gouvernementales dans l’après-11 septembre 2001 qui pourraient avoir des retombées négatives sur les défenseurs des droits humains, à savoir:

  • Les restrictions de voyages: Les défenseurs des droits humains seront affectés par les mesures de restriction liées aux voyages et aux demandes de visas. Certains défenseurs des droits humains se sont déjà vus refuser des visas au motif qu’ils seraient associés à des activités “terroristes”.

  • Soutien diplomatique: Des informations semblent indiquer que certains gouvernements se montrent plus réticents à s’exprimer sur leur soutien au travail des droits humains et à protéger des défenseurs des droits humains dans des pays où les activités terroristes sont généralisées. Un tel retrait de soutien politique exposera les défenseurs des droits humains opérant dans de tels pays à des risques supplémentaires.

  • Financements: Des craintes ont été exprimées quant à l’affaiblissement du soutien financier de certains donateurs gouvernementaux et inter-gouvernementaux à des défenseurs des droits humains de certains pays dans ce contexte politique de l’après-11 septembre..

  • Droit d’asile: Durcissement accru des procédures de demande d’asile et de sérieuses réductions du nombre de cas de réinstallation devraient affecter les défenseurs des droits humains en danger.

  • Accès: Les participants se sont montrés particulièrement préoccupés par le cas de certains pays où des défenseurs des droits humains se sont vus refuser l’accès à des demandeurs d’asile, surtout depuis le 11 septembre.

Plusieurs réunions, pour la plupart organisées à un niveau régional par des organisations non gouvernementales, ont traité de l’impact négatif du 11 septembre pour les défenseurs des droits humains. Le dernier rapport de Hina Jilani, Représentante spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme de l’ONU , offre un aperçu global des problèmes rencontrés par les défenseurs des droits humains dans ce contexte. Néanmoins, il convient de noter que, pour des raisons diverses, le nombre de cas rapportés est inférieur au nombre de cas réels. Les participants ont donc estimé qu’il est crucial de renforcer le travail prudent et minutieux de documentation.

RECOMMANDATIONS

  1. Les participants se sont accordés à dire que les défenseurs des droits humains doivent condamner de manière impartiale toutes les attaques délibérées et indiscriminées contre des civils où qu’elles se produisent, y compris les attentats du 11 septembre 2001. Ils doivent également les condamner à titre de violations du droits international des droits de l’homme et du droit humanitaire.

  2. Les participants ont réaffirmé qu’une réponse appropriée et efficace à de telles attaques ne peut être qu’approche basée sur le droit international. Les participants ont accueilli avec satisfaction la création de la Cour pénale internationale qui établit la responsabilité pénale individuelle pour, entre autres, des crimes contre l’humanité qu’il s’agissent du fait des Etats ou de groupes.

  3. Lorsque les projets de loi anti-terroriste sont élaborés, que ce soit à un niveau national, régional ou international, les défenseurs des droits humains sont souvent exclus de ce processus alors qu’ils devraient être consultés. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait inclure le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et la Représentante spéciale du Secrétaire générale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme de l’ONU dans ses délibérations sur les questions anti-terroristes.

  4. Les défenseurs des droits humains devraient promouvoir pro-activement la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme des l’ONU pour garantir la légitimité du travail des défenseurs des droits humains aux yeux de tous et pour assurer que tous ceux qui défendent les droits humains – économiques, sociaux, culturels mais aussi civils et politiques – bénéficient de leur protection. Les gouvernements devraient aussi être encouragés à diffuser la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de l’ONU et de se conformer à ses dispositions. Le mandat de la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la situation des défenseurs des droits de l’homme devrait par conséquent être totalement soutenu.

  5. Les participants ont accueilli favorablement la création par la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’une unité spéciale pour les défenseurs des droits humains. Celle-ci devrait être pleinement soutenue par les gouvernements des Amériques. Ils ont également recommandé que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le Conseil de l’Europe établissent dès que possible un point focal ou une unité similaire. Ces initiatives devraient être entreprises par d’autres organisations régionales, y compris l’OSCE.

  6. Les participants accueilleraient favorablement une plus grande interaction entre l’ONU et les mécanismes intergouvernementaux régionaux et avec la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains. Ils ont suggéré l’organisation d’une réunion conjointe entre eux dès que possible pour examiner la situation des défenseurs des droits humains et coordonner les efforts visant à promouvoir et à protéger ces derniers.

  7. Les défenseurs des droits humains devraient également améliorer la coopération entre eux et entretenir leurs réseaux. Ils devraient notamment renforcer leurs liens avec les organisations nationales de défense des droits civils et juridiques, afin que les personnes vulnérables bénéficient d’une protection juridique maximale conformément aux normes internationales relatives des droits humains.

  8. A cet égard, les participants se sont dits particulièrement préoccupés par la vulnérabilité des personnes détenues en vertu de la législation antiterroriste. Toutes les personnes détenues devraient avoir rapidement accès à des avocats et autres défenseurs des droits humains pour garantir le respect de leurs droits fondamentaux.

  9. Ils ont également appelé les gouvernements et les médias à protéger les droits des réfugiés. Certains médias et représentants du gouvernement ont injustement laissé entendre ou déclaré que les réfugiés constituent une menace générale pour la sécurité, même si les demandeurs d’asile font déjà l’objet de procédures très restrictives.

  10. Les défenseurs des droits humains devraient établir des mesures de protection efficaces pour les défenseurs des droits humains en danger dans les pays où ils travaillent. Ils devraient également veiller à ce que des dispositions soient prises pour faciliter leur entrée dans des pays sûrs (et notamment d’une assistance économique et pratique), lorsque cela devient nécessaire.

  11. Les participants ont réaffirmé l’importance de l’exactitude, de la transparence et de l’impartialité dans le travail des défenseurs des droits humains.

Dans une période d’insécurité croissante, il est plus que jamais nécessaire de susciter l’adhésion du public aux valeurs des droits humains. Il est utile de rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) stipule que tout individu et tout organe individuel de la société doit s’efforcer, par l’enseignement et l’éducation, de promouvoir le respect de ces droits et libertés.

PARTICIPANTS

Les personnes suivantes, parmi les organisations mentionnées entre parenthèses, ont participé à la réunion:

  • Simia Ahmadi (Fondation Martin Ennals), Rapporteuse

  • Robert Archer (International Council on Human Rights Policy)

  • Pascale Boosten (Peace Brigades International- Bureau Europe)

  • Santiago Canton (Commission interaméricaine des droits de l’homme)

  • Peter Jarman (Conférence des Eglises européennes)

  • Victor Dankwa (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples)

  • Catherine Francois (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme  & Observatoire des défenseurs des droits humains)

  • Ciping Huang (Overseas Chinese Democracy Coalition)

  • Marit Flo Jorgensen (Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme)

  • Nozima Kamalova (Société d’aide juridique de l’Ouzbékistan)

  • Natasha Kandic (Centre de droit humanitaire, Yougoslavie)

  • Christine Faddoul, Law Group for Human Rights, Jordanie

  • Mary Lawlor, Front line (Fondation Internationale pour la Protection des défenseurs des droits de l’homme)

  • Leah Levin (International Alert)

  • Alice Marangopoulos (Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme)

  • Mike McClintock (Comité des avocats pour les droits de l’homme)

  • Andrej Mironov (Memorial, Russie)

  • Alexandros Papaderos (Académie orthodoxe de Crète)

  • Anna Papadopoulou (Bureau de l’Ombudsman, Grèce)

  • Joanne Petropoulou (Marangopoulos Foundation for Human Rights)

  • Eleni Petroula, (Ligue grecque des droits de l’homme)

  • Christos Pourgourides (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe)

  • T. Rajamoorthy (Réseau du tiers monde et Conseil régional des droits de l’homme en Asie)

  • Pierre T. Roy (Plate-forme interaméricaine pour les droits de l’homme, la démocratie et le développement)

  • Ally Saleh (Association des journalistes de Zanzibar)

  • Andreas Selmeci (Bureau des droits de l’homme de Diakonie Allemagne)

  • Jo Szwarc (Amnesty International)

  • Morris Tidball-Binz (Bureau des défenseurs humains du SIDH)

  • Hans Thoolen (Fondation Martin Ennals)

  • Deepeka Udugama (Faculté de droit, Université de Colombo, Sri Lanka).

  • Emmanouil Athanassiou (secrétaire de conférence)

  • Elina Heretaki (assistant rapporteur)

  • Cliff Cook (assistant rapporteur)

    Samedi, 21 septembre 2002

    OAC/Kolymbari, Crète