Burkina Faso : construire la paix malgré tout
Pharmacien de formation, devenu militant des droits de l’homme au Burkina Faso, le Dr Daouda Diallo documente les violations des droits de l’homme dans un pays déchiré par de violents affrontements entre les forces gouvernementales, les groupes paramilitaires locaux et les factions islamistes. L’organisation qu’il a fondé – le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation (CISC) – documente les exactions et facilite l’accès à la justice des victimes d’atrocités et de leurs familles. Son combat pour promouvoir la cohésion entre les différents groupes ethniques de son pays lui ont valu d’être reconnu comme lauréat du prix Martin Ennals 2022. À l’heure où regain d’instabilité politique frappe le pays avec un nouveau coup d’état survenu le 24 janvier 2022, son engagement est d’autant plus nécessaire.
Un pays tourmenté qui aspire à la paix
Situé dans la région du Sahel, le Burkina Faso est l’un des États les plus pauvres et les plus précaires au monde. Les violences qui y font rage entre les factions islamistes, les forces gouvernementales et les milices locales ont provoqué l’une des crises humanitaires à la croissance la plus rapide au monde, selon les Nations unies. « Mon pays est en crise, impuissant et accablé avec plus de 1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays et 13% des écoles actuellement fermées« , dénonce le Dr. Diallo.
Dans son Rapport mondial 2022, Human Rights Watch note qu' »il y a eu une détérioration marquée de la situation des droits humains et de la sécurité au Burkina Faso en raison des attaques et des atrocités commises par des groupes islamistes armés et des meurtres illégaux commis par les services de sécurité de l’État et les milices pro-gouvernementales. » Malgré tout, les droits humains ne sont pas assez à l’agenda : les violations ne font presque jamais l’objet d’une enquête et restent la plus souvent impunies.
Droits humains sur la sellette après le coup d’État
Un nouveau coup d’État mené par l’armée (le huitième depuis l’indépendance du pays en 1960) plonge le pays dans une instabilité encore plus grande depuis le 24 janvier 2022. Les autorités militaires qui ont pris le pouvoir réclament davantage de ressources pour contrer les attaques djihadistes, tandis que la communauté internationale a elle largement condamné le renversement du gouvernement. La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, qui s’est récemment rendue au Burkina Faso, a déclaré qu’elle « déplorait profondément » le coup d’État, notant l’importance de « préserver les acquis durement gagnés en matière de démocratie et de droits humains dans le pays.«
C’est dans ce contexte complexe que le Dr Daouda Diallo, un pharmacien de profession, a consacré les 20 dernières années à la défense des droits humains et à la promotion de la paix au Burkina Faso. Il a été responsable de la section burkinabé de l’Observatoire Kisal qui promeut les droits humains au Sahel avant de fonder le CISC.
Le combat du Dr Daouda Diallo contre l’impunité
En janvier 2019, le Burkina Faso a connu le plus grand massacre de l’histoire du pays. Il s’est déroulé durant trois jours à l’occasion d’une insurrection djihadiste et s’est étendu dans la région du centre-nord du pays à plus de 20 villages différents dans un rayon de 50 km. Les violences ont commencé par une attaque djihadiste contre le village de Yirgou, suivie de représailles par des « groupes d’autodéfense » Koglweogo contre la population Peule. Malgré la mort de plus de 200 personnes, il n’y a pas eu de réponse circonstanciée des autorités étatiques. « Si un seul exemple devait illustrer la cruauté de cette tuerie, c’est bien celui de cet enfant arraché au dos de sa mère et jeté au feu. Ce massacre a été l’élément déclencheur de la fondation du CISC « , a déclaré le Dr Diallo. Depuis, le CISC a documenté plus de 1000 cas de violations des droits humains, d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, et a aidé plus de 100 victimes de disparition forcée. Tout cela dans l’espoir qu’un jour les victimes du massacre de Yirgou puissent obtenir justice.
L’organisation du Dr Diallo s’attaque directement à la fragmentation sociale, religieuse et ethnique du Burkina Faso en appelant à davantage de cohésion sociale pour lutter contre l’ethnicisation et l’escalade du conflit. « Daouda Diallo documente et dénonce les violations des droits humains commises par toutes les parties au conflit au Burkina Faso. Il n’a peur de rien et s’appuie sur de solides principes pour demander que les forces gouvernementales, les milices armées et les groupes terroristes soient tenus pour responsables de leurs abus. Il adopte également une approche très humaniste et holistique de son travail, en recherchant justice et réparation pour les victimes.« , explique Phil Lynch, membre du jury Martin Ennals et Directeur exécutif de International Service for Human Rights (ISHR).
Une détermination à toute épreuve
Mais le fort engagement du Dr Diallo n’est pas sans risque. Sujet à de multiples menaces de mort, il est souvent contraint de vivre dans la clandestinité.
En réponse au coup d’État militaire, le Dr Diallo nous a confié : » La négation de l’autre n’a pas sa place dans un Burkina Faso démocratique. J’espère que les nouvelles autorités militaires s’attaqueront aux divisions sociales croissantes du Burkina Faso et assureront la protection indispensable de tous les civils menacés par le conflit, tout en respectant scrupuleusement le droit humanitaire international. »
Malgré tout, le Dr Diallo reste optimiste. Il croit fermement que le prix Martin Ennals permettra d’accroître la crédibilité du CISC et aura un impact positif pour les droits humains dans son pays : « Ce prix est une reconnaissance et une victoire pour tous les défenseurs des droits humains au Burkina Faso. Il nous encourage à poursuivre notre travail malgré les nuits blanches, les menaces et les critiques que nous avons subies. Nous garderons le cap pour l’avenir. »