Bacre Ndiaye, avocat des Droits Humains

septembre 7, 2020

Bacre Ndiaye, avocat sénégalais spécialisé dans les droits humains avec plus de 30 ans d’expérience sur le terrain. Il est le premier membre africain élu au Comité exécutif international d’Amnesty International en 1985 et membre du conseil de la Fondation Martin Ennals depuis 2019.

Il partage avec nous ses idées sur les défis auxquels les défenseurs des droits humains doivent faire face en temps de pandémie et les jalons de sa carrière dans le secteur des droits humains.

 

2020 a été jusqu’à présent une année de changements mondiale. Comment pensez-vous que le COVID-19 impacte le travail des défenseurs des droits humains sur le terrain ?

Le covid-19 montre la fragilité du système international et c’est un défi multiforme !

Cette crise met en avant le fait que le droit à la santé est un droit fondamental. Les systèmes de soins devraient être accessibles pour tous, sans conditions et sans égard pour les frontières.

La pandémie est également une menace pour les libertés fondamentales, puisque les lois d’urgence pour freiner le coronavirus sont utilisées à des fins de répression.
Dans mon pays, j’ai vu les forces de l’ordre humilier des jeunes qui avaient enfreint le couvre-feu. Cela fait écho à ce qui est arrivé à George Floyd et met en lumière la discrimination existante contre les minorités et la stigmatisation des migrants ou des requérants d’asile dans la lutte contre la pandémie. Lorsque vous enfermez les gens, ils ne peuvent pas travailler s’ils étaient actifs dans l’économie informelle, avec des tactiques de survies au jour le jour sans économies ni de sécurité sociale.
Les détenus sont aussi à risque. Enfin et surtout, les femmes souffrent plus que les hommes dans ces moments, car elles ont moins d’accès à l’information, la formation et les transports.

En Afrique, le Covid-19 est arrivé au cours d’une année spéciale, marquée par un combat féroce contre le terrorisme dans beaucoup de pays, tel que le Nigeria, le Mali ou le Burkina Faso.
D’autres problèmes comme la corruption et les violences électorales ont été éclipsés par la pandémie.

Cela affecte les défenseurs des droits humains également. Ils sont moins visibles, alors que beaucoup d’entre eux continuent de travailler, tout en essayant d’éviter le virus. Nous devons leur accorder plus d’attention, soutenir leur travail et s’assurer qu’ils peuvent avoir accès à la santé. 

 

Dans ce contexte, quel est votre message aux défenseurs des droits humains à travers le monde ?

Les défenseurs des droits humains doivent s’assurer que leur combat reste visible malgré la pandémie. Mon conseil pour eux est de s’engager sur les réseaux sociaux et inclure la pandémie dans leur travail. Nous ne pouvons plus voyager et se rencontrer, c’est un fait, mais nous devons rester en contact ! Les initiatives comme le Prix Martin Ennals sont là pour les aider.

 

Quels ont été les jalons de votre carrière dans le secteur des droits humains ?

J’ai été Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions sommaires pendant 6 ans, Commissaire à la Commission de Vérité et de Justice haïtienne, avant de travailler pendant 16 ans en tant que Directeur du Conseil des droits de l’homme et de la Division des procédures spéciales à New York et à Genève à l’HCDH (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme).

En 2007, je suis devenu Représentant spécial adjoint pour la République démocratique du Congo (RDC). Depuis mon retour au Sénégal en 2014, j’ai été enquêteur du Secrétaire général de l’ONU sur une mission de maintien de la paix et consultant pour l’UNDP (Programme des Nations Unies pour le développement) sur la mise en œuvre de l’EPU (Examen périodique universel).

Durant les trois dernières années, j’ai été le président de l’équipe d’experts internationaux sur la situation au Kasaï (RDC) du Conseil des droits de l’homme. Durant ma première visite en RDC avec Amnesty International, à la fin 1980, de graves violations des droits humains se produisaient. Elles continuèrent après la période coloniale et atteignirent un pic après les génocides de 1994 et les atrocités de masse au Rwanda avec des millions de victimes, mais peu d’attention. Il y eu des centaines de viols, de décapitations et d’attaques entre 2016 et 2018, impliquant des jeunes qui se croyaient invulnérables. Les gens ont été déplacés et les femmes ont été conduites à l’esclavage dans le Kasaï, avec plus de 5000 personnes tuées, c’était affreux ! Après une enquête approfondie, nous avons recommandé d’accompagner et surveiller la RDC dans la lutte contre l’impunité et fournir un dédommagement aux victimes, principalement par le système de justice militaire. Nous avons également soutenu le processus de réconciliation, de justice transitionnelle et de prévention de la répétition.

 

Qui est Martin Ennals pour vous ? Comment vous sentez-vous lié à lui ?

La première fois que j’ai entendu parler de Martin Ennals, j’étais encore étudiant. Mon oncle, Ibrahima Boye, premier président d’Afrique subsaharienne de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, connaissait Martin et faisait toujours référence à lui comme un ami et un militant infatigable des droits humains.
Je l’ai finalement rencontré en personne lorsque j’ai rejoint Amnesty International.

 

Pourquoi devenir membre du Conseil de la Fondation Martin Ennals ?

Mes anciens collègues d’Amnesty et de l’HCDH m’ont dit de bonnes choses sur la Fondation Martin Ennals. Compte tenu de mon expérience des droits humains, ils m’ont fortement encouragé à rejoindre le Conseil de la fondation. Je suis un fier membre du Conseil depuis 2019 et j’estime que le Prix joue un rôle unique en autorisant les défenseurs des droits humains à rester des défenseurs des droits humains.

 

Le dernier bon film qu’il a vu

J’ai été approché par une cinéaste sénégalaise, Cécile Sow, qui réalisait un film sur l’histoire de l’armée Sénégalaise. Je suis devenu conseiller à la production, partageant des morceaux d’histoire de ma famille, de ma passion pour l’histoire et les enquêtes sur les droits humains dans plusieurs pays en guerre ou les troubles civils dans le monde.
C’était une expérience incroyable !

 

Le dernier bon livre qu’il a lu

J’adore lire beaucoup de livres en même temps. En ce moment, je lis un très bon livre sur Ramsès II et la biographie d’Abd el-Kader.

 

Sa citation favorite

La vérité est comme le tronc d’un baobab, il faut beaucoup de bras pour l’entourer.